Drapeau

Je vous ai récemment parlé de l’hymne national. Il faut bien que je vous parle aussi du drapeau national. Surtout que c’est une toute autre histoire. Le drapeau brésilien, lui, est original, il se voit, il détonne, il ne passe jamais inaperçu dans une réunion internationale. En plus ce drapeau est une longue et grande histoire franco-brésilienne qui mérite d’être contée.

Son histoire commence logiquement à l’Indépendance du Brésil en 1822. Le tout nouvel Empereur Dom Pedro 1er demande à l’artiste peintre français Jean Baptiste Debret de lui proposer un drapeau pour le tout nouveau pays. Jean Baptiste Debret résidait alors à Rio dans le cadre de la fameuse Mission Artistique Française (dont on a célébré le centenaire en 2016). Je vous ai déjà parlé de lui ; on finit toujours par le croiser à Rio !

Debret lui proposera ce drapeau-ci :

imperio

Le choix des couleurs a été imposé par le respect des traditions des familles impériales : le vert des Bragance de Dom Pedro et le jaune (ou mieux l’or) de la famille des Habsbourg de l’archiduchesse, devenue impératrice, Leopoldina. Au milieu se devait de figurer le blason impérial de Dom Pedro. La forme du drapeau est originale avec un losange inséré dans le rectangle. Les spécialistes disent qu’elle vient d’une tradition des drapeaux des armées napoléoniennes ; il est vrai que Debret était napoléonien de cœur. J’y vois un merveilleux paradoxe de l’histoire. Il faut rappeler que c’est l’invasion du Portugal par les armées napoléoniennes qui a chassé la famille impériale portugaise vers le Brésil. Cet exil changera définitivement l’histoire du pays. Une histoire pas banale : c’est le fils du souverain du pays colonisateur qui déclare l’indépendance du pays colonisé et en devient le Premier Empereur ! Ce drapeau, choisi par lui, sera donc le drapeau officiel de l’Empire Brésilien (1822-1889). Quelque chose m’avait toujours intrigué dans le blason de l’Empereur : les feuilles des branches de part et d’autre ne me paraissaient pas symétriques, identiques. Je viens d’en avoir l’explication : eh oui, d’un côté, c’est du café et de l’autre, du tabac ! Elémentaire et pertinent ! Mais il faut le savoir…….

La question du drapeau va évidemment se reposer au moment de la proclamation de la République en 1889. La première proposition fut la suivante :

projet-ruy-barbosa

Elle émanait de Ruy Barbosa, grande figure politique de la nouvelle République….. et grand admirateur des Etats-Unis (ça se voit à l’œil nu !). Ça n’a pas plu à tout le monde, notamment au groupe politique lié au positivisme du philosophe français Auguste Comte, qui élabora une contre-proposition. C’est un certain Raimundo Teixeira Mendes, mathématicien, philosophe, politicien et positiviste qui proposera ce nouveau drapeau, devenu symbole du Brésil depuis lors.

bandeira-brasil

L’analyse de ce drapeau en dit beaucoup sur le Brésil.

D’abord ce drapeau gardait la forme et les couleurs du drapeau impérial. On a donné dans la continuité : il faut dire que le passage de l’Empire à la République fut fort tranquille et pacifique. On garde donc le vert et le jaune or. Ce drapeau sera donc appelé « auriverde » : or et vert. Par extension, ce nom désignera globalement tout ce qui est brésilien, à commencer par son équipe de futebol (la grande Seleção !). Les brésiliens sauront parfaitement adapter leur discours : le vert n’est évidemment plus la couleur des Bragance mais celle des forêts brésiliennes (Amazonie ou forêt tropicale -la mata atlantica-, vous avez le choix) ; le jaune n’est plus celui des Habsbourg mais celui de l’or du Minas Gerais qui a fait la richesse du pays ! Le tour est joué.

Bon, mais quand même, il fallait bien retirer le blason de l’Empereur du beau milieu de la bannière. Là interviennent nos positivistes, versés aussi dans l’astrologie et les sciences occultes, comme il était courant à cette époque-là (en France aussi). Ils proposent de le remplacer par une sphère bleue représentant le ciel avec sa constellation d’étoiles, chaque étoile représentant un Etat du Brésil, dans leur position dans le ciel de Rio le 15 novembre 1889 ! C’est beau, c’est poétique ! Ça peut paraitre un tantinet mégalo : le Brésil ne s’inscrit pas sur le globe terrestre mais carrément dans l’univers et la stratosphère ! Mais c’est surtout complétement ésotérique : c’est l’expression d’un symbolisme quelque peu hermétique, qui viendrait de l’Egypte ancienne : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». L’objectif de représenter les étoiles sur ce drapeau, destiné à être hissé en haut de mâts, est d’attirer les énergies célestes sur tout le territoire brésilien !

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Accessoirement, ce ciel étoilé n’est pas très pratique. Ça rend la confection du drapeau compliquée et chère. Il y a régulièrement des erreurs dans la position des étoiles ! Des puristes y veillent et il faut régulièrement corriger à la dernière minute pour des manifestations essentielles, comme les Coupes de Monde de futebol. L’autre problème est que le nombre des Etats brésiliens a évolué au fil du temps : de 21 en 1889 on est passé à 27 aujourd’hui ! Il a fallu ajuster le drapeau à chaque fois, en rajoutant des étoiles. Conclusion : le drapeau brésilien est le seul au monde à ne jamais être tout à fait fini ; c’est un « work in progress » !

Mais ce n’était pas terminé ! Nos positivistes ont absolument tenu à ce que figure sur le drapeau la devise positiviste d’Auguste Comte : « l’amour pour principe, l’ordre pour base, le progrès pour but ». C’était un peu long ; ce fut résumé en « Ordre et Progrès ». J’imagine que je ne suis pas le seul que cet Ordre et Progrès sur le drapeau brésilien plonge dans un abime de perplexité ! Bon, les devises nationales ne veulent souvent pas dire grand-chose. Mais là, franchement, ce ne sont pas vraiment les deux mots qui viennent spontanément à l’esprit quand on pense au Brésil dès lors qu’on le connait un peu ! Quitte à faire, dans le raccourci, j’aurais plutôt sauvé « l’amour »  : ça aurait mieux convenu à ce pays profondément religieux et terriblement romantique. Mais l’ordre ? Je vous ai déjà cité le Barão de Rio Branco : « Il n’y a que deux choses organisées au Brésil : le désordre et le Carnaval ». Tout est dit ! Et le progrès ? Pas vraiment une préoccupation dans ce pays hédoniste, consumiste et court-termiste, éternel pays du futur.

amor
ça aurait pu être ça !

Mais cette devise inspirée par la pensée positiviste, laïque et franc-maçonne de quelques pères fondateurs de la République traversera, finalement incontestée, toutes les époques suivantes : de Getulio Vargas à Michel Temer, en passant par Lula et le régime militaire, qui l’aimait beaucoup. J’aurais une suggestion iconoclaste : un échange de devises avec les Etats-Unis ! Le « In God we trust » yankee irait très bien pour le Brésil, où tout le monde a la foi, surtout en Dieu ! Un sondage récent indiquait par exemple que « 90% des brésiliens attribuent le succès financier à Dieu ».  En plus cette devise aurait l’avantage de réunir catholiques et évangéliques dans une belle unanimité pour une fois. On remettrait ainsi le sort du Brésil dans les mains de Dieu, un choix sans doute plus sûr actuellement que celui de ses politiciens.

Vous voyez, ce drapeau est bien bavard : il raconte beaucoup de choses. Il est à la croisée de beaucoup d’histoires, dans lesquelles la France n’est jamais bien loin. Il est au centre de multiples influences philosophiques. Je vous parlais en introduction de son originalité : elle est patente. Ça commence par ses trois couleurs, rarement associées : vert (forestier), jaune (or) et bleu (ciel profond) ; ça continue par une forme associant rectangle, losange et sphère ; ça se poursuit avec une référence symbolique et ésotérique utilisant l’astronomie pour se terminer par une devise philosophique écrite ! Vous en connaissez beaucoup d’autres drapeaux comme celui-là ? Le Brésil est l’incontestable champion du monde du drapeau original.

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