Vaccidrive

Nous avons sagement attendu notre tour. Début février, la mairie de Rio publie son calendrier de vaccination, en respectant les priorités décidées par le ministère de la Santé, dont c’est d’ailleurs la seule contribution à cette campagne de vaccination, en dehors de l’approvisionnement (chaotique) des vaccins. Un jour par âge pour les plus de 80 ans, deux jours en-dessous. Nous sommes prévus pour la fin mars. Il y a quelques ajustements en cours de route : une semaine de suspension faute de vaccins et une répartition femme/homme entre les deux jours. Pas pour des raisons de discrimination sexiste mais parce que l’on constate que tout le monde se précipite le matin du premier jour, créant ainsi de fâcheuses agglomérations, alors que l’après-midi du deuxième jour est plus que tranquille ! Ainsi on étale mieux la charge.

Question suivante : où se faire vacciner ? Forcément dans les installations du SUS (Système Unique de Santé), le remarquable système de santé publique brésilien, avec ses 40 000 « points de santé » répartis dans tout le pays, qui a la responsabilité (et le monopole) des campagnes de vaccination.  Il a innové l’année dernière en ouvrant quelques « drive thru » éphémères pour la vaccination antigrippe : nous avons expérimenté et fortement apprécié ! L’option est reprise cette année pour le Covid, en particulier ici à Rio et avec une initiative à laquelle je ne pouvais résister : un « drive thru » au Parc Olympique, pas loin de chez nous ! Endroit prestigieux et original, non ? Une occasion aussi de revoir ces magnifiques installations malheureusement abandonnées à leur triste sort, alors qu’elles étaient prévues pour être réutilisées ou recyclées.

Nous y sommes donc allés deux fois, chacun ayant son jour. Remarquablement organisé. Dix files parallèles de voitures. Une attente réduite et confortable : dans ce cas, on apprécie l’air conditionné avec les 35º ambiants. Une première tente pour les formalités administratives, une deuxième pour l’administration du vaccin, tout en restant assis dans notre véhicule. Des infirmier(e)s ou jeunes médecins bien cariocas : sympas, souriant, plaisantant et très pros. Rapide, chaleureux et efficace. Il reste la dernière question : quel vaccin ? On le découvre à la dernière minute et de toute façon on n’a pas le choix. Pour nous, c’est le Coronavac, le vaccin chinois, honni, décrié par Bolsonaro mais qui pour l’instant vaccine sans problème plus de 80% des brésiliens ! Il a l’avantage d’une deuxième dose rapide (un mois après) : on retournera donc au Parc Olympique d’ici la fin de ce mois-ci. Bon, j’espère bien aussi que l’Europe le reconnaitra pour mon prochain voyage en France !

Ordre et désordre

Cette petite expérience m’aura encore une fois de plus donné l’occasion de constater l’invraisemblable cohabitation dans ce pays entre des choses totalement désorganisées dans un joyeux, mais bien plus souvent scandaleux, bordel et des choses parfaitement organisées dans une joyeuse efficacité (souvent supérieure à ce qu’on peut trouver en France).

Le Brésil sait organiser des grandes campagnes nationales de vaccination. Avec succès et depuis longtemps. C’est particulièrement remarquable dans un pays aussi grand, divers, souvent difficile d’accès. Imaginez quand il faut aller vacciner des tribus indiennes au fin fond du Mato Grosso : les équipes d’infirmiers du SUS doivent souvent marcher des heures en pleine brousse mais, sans se poser de question, ils y vont ! En ce moment, en Amazonie, c’est la saison des pluies : les fleuves débordent. Il est particulièrement difficile de s’y déplacer. Alors on innove : le SUS vient d’inventer le « sail thru » ! Il stationne une grande pirogue au large des villages et les habitants viennent l’accoster avec leurs petites pirogues pour se faire vacciner !

« Sail thru » Vac en Amazonie

Malheureusement la campagne de vaccination ne suit pas toujours les bons principes du SUS et ne se passe pas toujours aussi bien que dans mon quartier de Rio. On a eu le droit à quelques dérives, quelques-unes universelles, me semble-t-il. Il faut dire que le ministère de la Santé remet les doses de vaccins aux États qui les repassent aux Municipalités avant qu’elles ne filent dans la remarquable logistique de distribution du SUS. Ce passage via les politiques ouvre la porte aux passe-droits que vous pouvez imaginer. On a dénoncé de nombreux abus d’élus sympathisants bolsonaristes, les mêmes qui soutiennent la campagne de sabotage antivaccins du Président, proclamant haut et fort leur inutilité, voire leur danger. Bande d’hypocrites, va !

Auparavant, tout en laissant aux municipalités leur autonomie pour organiser leur calendrier de vaccination, le ministère de la Santé leur donnait des recommandations de gens de métier et d’expérience. Impossible cette année avec nos militaires incompétents, qui ont remplacé les médecins et sont bien incapables de piloter une campagne de vaccination. Chaque municipalité se débrouille et improvise. Dans les banlieues cariocas, avec des politiciens véreux et totalement incompétents en la matière, ça donne souvent des catastrophes : de monstrueuses files d’attente avec agglomérations, des vaccins gaspillés ! Tout le contraire du souhaitable.

À Belo Horizonte, les voisins d’un dépôt d’autobus assistent à un étrange ballet nocturne : ça ressemble fortement à une vaccination « drive thru » improvisée en petit comité ! On enquête. C’est bien ça : une vaccination clandestine et payante, organisée par des hommes d’affaires et des politiciens pour eux et leurs familles, avec, dit-on, un vaccin Pfizer importé illégalement des USA. On poursuit l’enquête : en fait c’est une grosse escroquerie ! Une fausse infirmière a injecté un placebo bidon. Bien fait pour ces fraudeurs arrogants et stupides !

La mascotte de la vaccination : Zé Gotinha

SUS

Le SUS est mis en place en 1988, après le retour à la démocratie, s’inspirant du modèle du NHS britannique. Un système structuré de santé publique, universel, capillaire, gratuit, égalitaire. Une exception dans ce pays désorganisé et profondément inégalitaire. Une référence dans le monde. Il souffre depuis quelques années d’un manque de ressources et de bonne gestion, victime lui aussi de la corruption. Ses dysfonctionnements sont immédiatement et cruellement ressentis par les populations les plus nécessiteuses, qui en dépendent totalement pour leur santé.

Mais un tel système, fonctionnant malgré tout et à vocation sociale et égalitaire, est la proie rêvée des bolsonaristes qui mettent un malin plaisir sadique à détruire ce genre d’institutions publiques, comme ils le font aussi dans l’environnement, la recherche ou l’éducation.

Il y a ainsi en cours une campagne de députés bolsonaristes pour autoriser l’importation directe de vaccins par les entreprises privées pour les administrer à leurs employés et à leurs familles. En dehors du SUS, évidement. Il y a de la résistance, heureusement.

Progrès et régression

La campagne actuelle de vaccination contre le Covid incite certains médias à rappeler quelques précédents historiques, histoire de faire la comparaison. C’est instructif.

Méningite

Le Monde a publié le 22 février un passionnant article du journaliste Nathaniel Herzberg sur la véritable opération commando organisée en 1975 conjointement entre le ministère de la Santé brésilien et l’Institut Mérieux de Lyon. L’enjeu est de taille : vacciner en urgence tout le Brésil pour stopper l’épidémie de méningite qui y fait des ravages depuis plusieurs années. En quelques mois, Mérieux met au point le vaccin et le produit en grande quantité. Début 1975, en 12 jours, 4 millions de cariocas sont vaccinés ; dans la foulée et en 5 jours, 10 millions de paulistes. À mi-1975, 90 millions de brésiliens, soit 70% de la population, sont immunisés : l’épidémie est complètement éradiquée ! Étonnant : « Un exploit, mélange d’ambition, d’audace et de passion », commente le journaliste. « Une autre époque », complète-t-il, philosophe.

Ce qu’il ne dit pas mais que beaucoup savent ici, c’est que des années durant, cette épidémie de méningite, qui touche essentiellement les classes populaires de São Paulo, est passée sous silence par les autorités brésiliennes de l’époque. On est en plein régime militaire. Il impose même une censure drastique sur toute information concernant l’épidémie. Il ne libère l’information et ne se mobilise pour trouver une solution que quand les beaux quartiers commencent eux aussi à être touchés. Une autre forme de négationnisme, déjà à l’époque….

Grippe

La presse brésilienne s’est fait le petit plaisir de publier la photo ci-dessous datée de 2008. Avec un grand clin d’œil. Il s’agit de José Serra, alors gouverneur de São Paulo (et ancien ministre de la Santé), vaccinant l’alors Président Lula dans le cadre d’une campagne de vaccination contre la grippe. Dans une ambiance amicale et décontractée. Adversaires politiques mais solidaires pour une cause nationale commune : la vaccination. On est bien loin de ça aujourd’hui avec le climat hostile et haineux généré par Bolsonaro, surtout avec le gouverneur de São Paulo !

H1N1

L’ancien ministre de la Santé de Lula a juste rappelé au passage qu’en 2010 le Brésil a vacciné 80 millions de brésiliens en trois mois contre le virus H1N1. On en est très loin aujourd’hui. Régression.

Des vaccins mais pour qui ?

Le Brésil est depuis longtemps un grand pays producteur de vaccins, grâce à ses deux excellents instituts de renommée mondiale Butantan à São Paulo et la FioCruz à Rio. Il l’est toujours aujourd’hui mais avec un petit changement. Il ne produit plus par lui-même que 5 vaccins pour les humains et la grande majorité des vaccins consommés est importée d’Inde et de Chine. Par contre il compte plus de 30 usines de vaccins pour le bétail, qui couvrent plus de 90% de ses besoins. Doit-on en conclure – certainement trop rapidement – qu’au Brésil, les vaches comptent plus que les hommes ?

Le troupeau de mon ami Dimas à Cabixi (Rondonia)

4 réflexions sur « Vaccidrive »

  1. Merci de rappeler les incroyables atouts du Brésil, c’est à dire une bonne partie de sa population, courageuse et inventive. On voit souvent du Brésil le verre à moitié vide. C’est parce que le vide est toujours en haut du verre, comme les manquements de ce pays dans les hautes sphères.

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  2. Bravo pour cet article avec cette conclusion si humoristique et ravie que vous soyez vaccinés. Bises basques sans virus. Dom

    Dominique Hiriart

    7, rue Tastoua

    F-64200 Biarritz

    33 (0)9 53 05 05 29

    33 (0)6 95 87 10 51

    dom.hiriart@free.fr

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  3. Le Brésil est de plus en plus présent dans les médias français, du fait de la crainte du variant P1 dit brésilien.
    Avec les reportages catastrophistes comme il est de règle en pareil cas vu d’ici : Brésil = tropiques = chaos.
    Heureusement que Christian nous rappelle que le Brésil ce n’est pas que ça, et qu’on pourrait de temps en temps prendre ses bonnes idées au lieu de le regarder de haut.

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