Politiquement correct (1)

PC ou rectitude politique (en québécois)

Le politiquement correct a pour objectif de corriger les discours et les mots afin de ne pas offenser certains groupes sociaux (en général liés à l’ethnie, au sexe, à la race, à la religion, à des infirmités ou aux orientations sexuelles). Il part de bonnes intentions, d’un bon sentiment. Mais il n’est pas toujours réussi, ni efficace. Il peut aussi déraper vers la censure et l’intolérance et il devient alors vite insupportable. Au Brésil comme partout ailleurs.

Communauté

Dans les années 90, un maire de Rio décide de bannir le mot « favela ». Pas valorisant pour sa ville de Rio de Janeiro et, ajoute-t-il, stigmatisant pour leurs habitants, les favelados. Il décide de les rebaptiser en « communautés défavorisées ». Au fil du temps, le mot « comunidade » (communauté) finit par s’imposer dans le vocabulaire officiel, administratif, politique et médiatique. Mais bien évidemment tout le monde continue aussi à parler de favelas, à commencer par leurs habitants et souvent avec fierté !

Il existe même un G10 des favelas !

Il faut dire que le nom en lui-même n’a aucune connotation négative comme peut l’avoir le mot « bidonville » par exemple. C’est le nom d’une plante du Nordeste, l’euphorbe. Je vous ai déjà raconté son trajet entre Bahia et Rio avec la transposition du nom d’une colline par des militaires. Beaucoup de favelados sont attachés à leur favela comme d’autres à leur quartier. En plus ils savent que le nom est universellement connu, qu’il est presque devenu une marque déposée, typiquement Brasil et Rio. Les plus malins ont su l’utiliser dans la (courte) période de pacification durant laquelle certaines favelas ont accueilli les touristes étrangers à bras ouverts. Bref, ce mot n’est ni blessant, ni stigmatisant. C’est un faux « politiquement correct », celui des autorités, du pouvoir. Comme le chantait le sambiste Bezerra da Silva, repris par Seu Jorge : « La favela est un problème social ». Même rebaptisée en « communauté » et 30 ans plus tard, la favela est toujours un problème social ! Le mot n’a pas changé la réalité.

Esclavagisés

J’ai fait une découverte lorsque je préparais mes articles sur l’esclavage (novembre 2020). Lors des débats sur le sujet, les militants du « mouvement noir », intellectuels et journalistes, insistaient lourdement pour que l’on ne dise surtout pas « escravos » (esclaves) mais « escravizados » (esclavagisés). J’ai mené une petite enquête. Il semble que cette création linguistique dérive directement de l’anglais qui distingue effectivement « slave » et « enslaved ». C’est du copié/collé. Mais il y a aussi une idée derrière les mots. Le mot « esclave » suggèrerait un état de fait naturel ou choisi alors qu’il est le résultat de l’action d’un tiers : l’asservissement, la mise ou la réduction en esclavage, que le mot « esclavagisé » traduirait bien mieux. Bon, pas faux mais qui peut croire sérieusement que quelqu’un est esclave par sa propre volonté ? Un peu prise de tête, non ? Il est probable que le mot va finir par s’imposer dans les milieux intellectuels, universitaires et médiatiques. Je suis curieux de savoir s’il va arriver aussi en France car il faudra alors valider le néologisme que j’ai suggéré : esclavagisé (ou alors esclavisé) ou utiliser une périphrase.

Peinture de JB. Debret

Mulato (Mulâtre)

Il y eut récemment sur les réseaux sociaux brésiliens une polémique picrocholine suite à une interview de Caetano Veloso à propos de son récent album. Elle concerne en plein notre sujet.

Une journaliste afro-brésilienne reproche à Caetano de continuer à utiliser le mot « mulato » (mulâtre/métis) dans ses chansons récentes. Les militants afro-brésiliens demandent en effet le bannissement total de ce mot car, selon eux, il viendrait du mot « mule », croisement d’un âne et d’une jument. Ce qui est jugé dépréciatif et dégradant.

A ce stade, un rappel des appellations brésiliennes en matière de races et de couleurs s’impose. L’INSEE locale les a définies pour ses besoins de recensement il y a déjà longtemps. Il distingue Pardo (« marron ou brun », c’est-à-dire métis ; 47 % au dernier recensement), Blanc (43%), Noir (9%), Jaune et Indigène/indien (1% ensemble). Par ailleurs mais pas de façon officielle, dans la catégorie des métis, on distingue mulato, mélange Blanc/Noir, caboclo ou mameluco, mélange Blanc/Indien et cafuzo, mélange Noir/Indien. Mais rappel essentiel : le principe de base est toujours l’auto-déclaration. Il n’y a pas de critère objectif de classement (ce qui peut poser des problèmes pour la discrimination positive). On choisit sa race (pas toujours liée à la couleur de peau !). Certes, lors du recensement officiel, les gens doivent choisir leur catégorie dans la liste préétablie mais dans d’autres occasions, ils se désignent avec l’appellation de leur propre choix, avec une grande créativité, genre « noir à la peau claire ». Je vous rappelle qu’une enquête avait recensé 136 couleurs de peau différentes identifiées par les interviewés !

Revenons à l’interview de Caetano. Il s’inscrit en faux et sans ambiguïté contre ce politiquement correct racial. Il commence par s’affirmer clairement et définitivement « pardo » et « mulato » et fait l’éloge du grand métissage brésilien, donnant comme exemple sa propre famille. Il conteste – d’ailleurs à juste titre – cette origine supposée du mot « mulato », qui viendrait plutôt d’un mot arabe (« muwallad ») et ajoute avec humour qu’il n’a rien contre les mules ! Il critique surtout cette volonté de vouloir changer les mots et d’imposer une terminologie copiée sur le modèle nord-américain mais peu adaptée à la réalité raciale brésilienne. En effet les mouvements noirs brésiliens veulent que, comme aux États-Unis, les métis (mulatos), ayant donc du sang noir, abandonnent ce nom et se déclarent ou soient déclarés noirs ! C’est totalement nier l’importance, la richesse et la complexité du métissage au Brésil, où intervient aussi fortement la composante indienne. Dans sa dernière chanson « Meu coco », Caetano proclame d’ailleurs : « Nous sommes métis, hybrides, mamelucos et beaucoup plus cafuzos que tout le reste ! ».

On est ici dans le cas d’un politiquement correct purement idéologique, donc parfaitement critiquable comme Caetano en revendique et assume le droit. Ceci dit, il précise qu’il est favorable l’évolution du vocabulaire si elle peut aider à combattre le racisme au Brésil mais qu’il convient que ces évolutions fassent sens et soient adaptées à la réalité brésilienne pour pouvoir être facilement appropriées par les gens. On ne peut mieux dire.

Je vous propose de rester avec Caetano et l’une de ses chansons que j’aime particulièrement et qui est bien dans notre thème : « Eu sou neguinha » (« Je suis une petite noire ») ! En attendant la deuxième partie de cet article « Politiquement correct » qui paraitra demain.

« Eu sou neguinha » – Caetano Veloso – 1987

Il nous emmène à Madureira (Rio), à Bahia, à Beaubourg, dans le Bronx et dans le Brás (São Paulo).

cliquez ici pour l’écoute dans la version originale disque

et cliquez ici pour l’écoute d’une version plus récente « ao vivo » très originale aussi !

Pochette du disque original

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Une réflexion sur « Politiquement correct (1) »

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