Interviews (1)

Mémoires de radio (épisode 5)

Rappel des épisodes précédents : entre 1983 et 1987, sur Radio Latina, j’anime l’émission Macunaïma autour de la culture brésilienne.

Interviewés

Dans mon émission Macunaïma, il y a beaucoup de musiques ; il y a aussi beaucoup d’invités, d’interviews, sans doute pas loin d’une centaine. D’abord mes amis brésiliens pour parler de leur pays, de leur culture. Ensuite les artistes brésiliens résidant à Paris, comme par exemple, pour la chanson, Les Étoiles, Monica Passos ou encore Ricardo Vilas. Il y a aussi des Français spécialistes passionnés du Brésil comme, pour la littérature, Mario Carelli, le traducteur Jacques Thiériot ou l’universitaire Michel Riaudel, pour le cinéma, Paulo Paranagua, pour la musique, Rémy Kolpa Kopoul, Dominique Dreyfus ou Philippe Lesage et encore le géographe Hervé Théry. Et puis, bien sûr, les artistes brésiliens de passage à Paris venant y donner un spectacle ou y présenter leurs films ou leurs livres.

Luiz Antonio et Rolando : les Étoiles !

Mémoire

Notre mémoire nous joue toujours des tours. Je me souviens bien de la grande majorité de ces rencontres, de ces interviews. Je me souviens des personnes, de leurs attitudes, de leurs contacts. Je me souviens étonnamment bien des lieux de ces interviews : un salon ou un bar d’hôtel, un bistrot, parfois en direct, à la radio, pour ceux qui parlent français (comme certains cinéastes). Mais pour d’autres, c’est le grand vide : incapable de me raccrocher au moindre petit souvenir ! Le pire c’est qu’il peut s’agir d’artistes que j’apprécie particulièrement et que je me réjouissais de rencontrer. Je me console en pensant que le plus important est ce que les artistes disent dans leurs œuvres et pas dans leurs interviews à des journalistes !

Antunes Filho, un grand nom du théâtre moderne brésilien. Mes archives me disent que je l’ai interviewé…..

Ambiance

Avant que je ne rencontre certains chanteurs (ou chanteuses), mes amis brésiliens me préviennent : « Oh là, là ! Tu vas voir. Il (ou elle) s’est pris la grosse tête. Prétentieux, pas sympa du tout. Bonne chance ! ». Immanquablement je rencontre des personnes simples, agréables, empathiques, disponibles. C’est le cas pour toutes mes interviews durant ces cinq années !

Évidemment ce n’est pas dû à mes talents d’intervieweur débutant. Juste peut être à leur réaction amusée face à mon intérêt pour la culture brésilienne et leur travail. En fait, à l’époque, la majorité de ces artistes ne sont pas, ou bien peu, connus en France. Les médias ne leur courent pas après. Du coup ils sont extrêmement ouverts et disponibles, heureux de pouvoir s’exprimer (et en plus en portugais !). J’ai la chance d’en bénéficier.

J’interviewe aussi deux grandes figures historiques de la chanson brésilienne :

Règle du jeu

Par principe, je n’interviewe que des artistes de passage en France venant y présenter leur travail, pour autant que j’arrive à les contacter. Aucune interview réalisée durant mes voyages au Brésil. Du coup, je rate quelques artistes absents de Paris durant ces années-là, comme Caetano Veloso, un vrai regret. Mais aussi, par exemple, Martinho da Vila ou Baden Powell, je ne sais vraiment plus pourquoi. Il est vrai qu’à l’époque Baden Powell est en quasi-retraite…. à Baden Baden !

Je rencontre aussi quelques artistes sans pouvoir les interviewer. Je sers de chauffeur à Luis Melodia (entre Roissy et Orly) et à Gal Costa (entre Antibes et Nice), mais la star, de fort mauvaise humeur, ne daigne même pas desserrer les dents ! À Juan-les -Pins, je croise Jorge Ben et Tom Jobim, autres regrets d’interviews, mais je suis trop occupé avec João Gilberto !

Une rencontre ratée pour moi !

Littérature

Je n’ai interviewé que bien peu d’écrivains. Sans doute parce qu’il y avait peu de publications d’écrivains brésiliens en France à ce moment-là ; aussi parce qu’il y avait une émission exclusivement littéraire à la radio. Mais j’ai quand même rencontré la grande vedette littéraire brésilienne en France : Jorge Amado. C’est même la seule interview un peu officielle à laquelle j’ai participé avec attaché de presse et tout le tsoin-tsoin. J’ai le souvenir d’un Jorge Amado charmant, mais assez roublard et finalement assez convenu : il savait dire aux Français ce qu’ils attendaient de lui. Par contre j’ai été séduit par sa femme, Zelia Gattai, pétillante, spirituelle, spontanée. Écrivaine elle aussi, elle avait publié récemment en France ses mémoires consacrées à l’histoire de sa famille italienne émigrée au Brésil, sous un titre, qui m’a toujours réjoui : « Anarchistes, grâce à Dieu » ! Je ne rappelle plus si je l’ai interviewée mais nous avons eu une conversation stimulante et drôle.

Zelia Gattai et Jorge Amado

Acteurs/actrices

De même j’ai interviewé peu d’acteurs car cela ne faisait pas vraiment sens pour un public français. Mais deux m’ont marqué dans des registres différents.

Carlos Vereza

En mai 1984, l’acteur Carlos Vereza revient du Festival de Cannes où a été présenté le film « Mémoires de prison » du réalisateur Nelson Pereira dos Santos, inspiré par le roman éponyme du grand écrivain Graciliano Ramos, racontant ses années de prison sous la dictature de Getulio Vargas (en partie au bagne de l’Ilha Grande, devenue depuis un paradis touristique !). Il en est l’acteur principal dans le rôle de l’écrivain. À l’époque, Carlos Vereza est un acteur de renom, du théâtre, des novelas et du cinéma ; il a aussi été une figure de proue du mouvement artistique contre la dictature militaire. Je rencontre un homme sérieux, presque sombre, très critique vis-à-vis de son propre pays, très engagé politiquement (du côté du Parti Communiste). Il présente un autre visage du Brésil.

Par la suite, son évolution personnelle ne cessera de m’étonner. Il devient d’abord spirite à la suite d’un accident de voiture. Puis plus récemment il se transforme en partisan inconditionnel et actif de Bolsonaro, avant de se fâcher avec lui à propos de la pandémie du Covid ! Aujourd’hui il est ufologue. Sa carrière d’acteur a souffert de ses revirements : ces derniers temps, il n’a plus que de petits rôles dans les novelas, où il interprète toujours des prêtres ! Étonnant, non ?

Carlos Vereza dans le film « Mémoires de prison »

Zezé Motta

Au Festival brésilien de Nice en 1984, je rencontre l’actrice et chanteuse Zezé Motta. Je crois que c’est la seule fois où je suis impressionné avant une interview. Car, au-delà de la chanteuse et surtout de l’actrice – qui avait fait un triomphe avec le film « Xica da Silva » -, c’est aussi un symbole que je rencontre : celui d’une femme noire militant activement pour que les acteurs afro-brésiliens puissent enfin avoir une place reconnue au Brésil. Elle en avait assez des rôles de domestiques dans lesquels elle était confinée dans les novelas. D’ailleurs à l’époque, elle joue le rôle d’une femme aimant un homme blanc dans la novela « Corpo a corpo », ce qui fit scandale ! On parle de tout ça, bien sûr. Aujourd’hui, où plusieurs jeunes actrices afro-brésiliennes sont devenues de grandes vedettes de novelas, le rôle courageux et pionnier de Zezé est enfin reconnu et salué. Je suis fier de l’avoir interviewée.

La lumineuse Zezé Motta

Écoutez-la ici dans une chanson écrite pour elle par son amie Rita Lee « Muito prazer, eu sou Zezé » (Enchantée, je suis Zezé) de 1978

Cinéastes

Des cinéastes, je parlerai peu car ils sont moins connus en France et leurs films peu diffusés. J’ai pourtant interviewé la fine fleur des réalisateurs du Cinema Novo : Nelson Pereira dos Santos, Carlos Diegues, Ruy Guerra, Arnaldo Jabor… De fortes personnalités, des intellectuels, tous très engagés politiquement contre le régime militaire, majoritairement francophones et francophiles, admirateurs inconditionnels de la Nouvelle Vague.

Un film de Carlos Diegues de 1976, avec Zezé Motta

J’ai particulièrement été marqué par le scénariste et réalisateur Leon Hirszman…. mais je ne saurai plus dire pourquoi aujourd’hui ! Je vais devoir réécouter l’interview ! Je me souviens juste tristement qu’il est mort peu après du SIDA contracté lors d’une transfusion sanguine. Mais aussi par Eduardo Coutinho, récompensé cette année-là au Festival du Cinéma du Réel à Beaubourg, qui commençait sa brillante carrière de maître du documentaire brésilien.

Chanteurs/chanteuses

Evidemment j’ai interviewé beaucoup de musiciens, chanteuses et chanteurs. Mais ça, c’est pour le prochain article, avec plein d’anecdotes. 

Laisser un commentaire