Hymne national

Tout le monde connait « La Marseillaise ». La majorité des Brésiliens aussi, et parfois même les paroles, tout du moins le début : « Alonzanfan ». Mais, chers amis français, connaissez-vous l’hymne national brésilien ? Sans doute pas. Il faut dire que vous n’avez guère d’opportunité de l’entendre, à l’exception des compétitions sportives internationales. Il n’a rien à voir avec notre hymne national, révolutionnaire, patriotique, guerrier, vengeur, sanglant…Il est plutôt d’un registre « classique », que ce soit par sa musique ou par son texte exaltant les beautés et la grandeur du pays.

En fait cet hymne a commencé par sa musique, écrite au moment de l’Indépendance du pays en 1822 par Francisco Manuel da Silva. Il recevra plusieurs paroles différentes, qui visiblement ne s’imposeront pas. Ce n’est qu’un siècle plus tard que le texte, écrit en 1909 par un journaliste poète (Joaquim Osorio Duque Estrada), deviendra progressivement officiel et définitif, après encore quelques remaniements.

Je vous en livre ici une traduction personnelle.

(À ma connaissance, il n’a pas de nom spécifique : c’est simplement l’hymne national !)

Première partie

Les rives calmes de l’Ipiranga ont entendu le cri retentissant d’un peuple héroïque et, à cet instant, le soleil de la liberté, jetant ses rayons fulgurants, a brillé dans le ciel de la Patrie

Nous avons conquis la garantie de cette égalité à la force de nos bras ; en ton sein, Liberté, notre courage défiera même la mort

Salut, Patrie bien-aimée, adorée

Brésil, un rêve intense ; un vif rayon d’amour et d’espérance descend sur la terre quand, dans ton ciel splendide, souriant et clair, l’image de la Croix du Sud resplendit

Géant par ta propre nature, tu es beau, tu es fort, colosse tranquille et ton avenir reflète cette grandeur

Terre adorée entre mille autres, tu es, Brésil, notre Patrie bien-aimée

Tu es la mère bienveillante des enfants de ce sol, Patrie bien-aimée, Brésil !


Deuxième partie

Eternellement couché dans un berceau splendide, au son de la mer et à la lumière du ciel profond, tu resplendis, Brésil, fleuron de l’Amérique, illuminé par le soleil du Nouveau Monde

Ta terre est la plus colorée, tes beaux champs joyeux ont plus de fleurs, nos forêts ont plus de vie, notre vie en ton sein a plus d’amours

Salut à notre Patrie adorée, bien-aimée

Brésil, que le drapeau étoilé que tu déploies ostensiblement soit un symbole d’amour éternel et que le vert et or de cette flamme proclame : paix pour l’avenir et gloire au passé !

Mais si tu lèves le glaive de la justice, tu ne verras aucun de tes enfants fuir le combat, ni même celui qui t’adore craindre la mort

Terre adorée entre mille autres, tu es, Brésil, notre Patrie bien-aimée

Tu es la mère bienveillante des enfants de ce sol, Patrie bien-aimée, Brésil !


L’hymne national est un genre littéraire à lui tout seul. Il fait la part belle aux envolées lyriques, aux expressions toutes faites, à tous les clichés. Il glisse facilement vers le style pompier et n’a jamais peur d’une image audacieuse (« qu’un sang impur abreuve nos sillons »). C’est par définition le paradis de l’exaltation patriotique : on baigne dans « l’ufanisme » ! Il est forcément et totalement positif : c’est la loi du genre. Mais il est aussi bien révélateur des caractéristiques propres d’un pays par ce qu’il dit …. ou ne dit pas !

Le texte de l’hymne brésilien parle beaucoup de la nature (le ciel, le soleil, la lumière…) ; il est plein de couleurs. Il parle aussi beaucoup d’amour, ce qui ne doit pas être si courant dans le genre. Bizarrement il parle bien peu de ses habitants ! Juste pour dire qu’ils sont courageux mais qui ne le prétend pas ? Curieusement, il reste bien républicain et laïc : aucune allusion à Dieu, pourtant omniprésent au Brésil !

Il y a dans ce texte quelques expressions qui feront florès et seront souvent reprises, exaltées, analysées, interprétées, critiquées, détournées…. En voici mon propre florilège !

Géant par ta propre nature, tu es beau, tu es fort, colosse tranquille

Ce thème du « géant impavide, tranquille, voire endormi » sera largement exploité par la suite. En fait tout le monde attend depuis longtemps que ce géant se réveille, se lève et avance enfin. Il va bien finir par « émerger » un jour. On a cru que c’était arrivé lors des « années Lula » mais le géant semble déjà à bout de souffle.

J’ai un peu de mal à trouver ce colosse si tranquille. Je pense que l’hymne fait référence à la tradition pacifique du Brésil avec ses pays voisins. Oui, c’est vrai, le Brésil n’est pas un pays belliqueux. Mais en interne, ça bouillonne, ça s’agite, ça se bagarre, ça tire dans tous les coins, ce n’est pas vraiment tranquille !

Le géant n’est plus endormi

Ton avenir reflète cette grandeur

Il y a depuis longtemps un hiatus entre la taille du Brésil, mesurable en kilomètres carrés, en superficies de terres arables ou de forêts, en kilomètres de côtes ou en nombre d’habitants et, en regard, sa richesse, son niveau de développement et son rôle effectif dans le concert des nations. Du coup, on se projette facilement dans un avenir où ce hiatus disparaitra : Brésil, le pays du futur !

Je ne peux pas m’empêcher d’y trouver un écho à la fameuse phrase : « Le Brésil est un pays d’avenir et il le restera longtemps » de Georges Clemenceau, dans son registre de journaliste. Elle date d’ailleurs exactement de la même époque que le texte de l’hymne. Elle fait toujours sourire mais de plus en plus jaune.

Au Brésil cela a souvent créé des courts-circuits redoutables ! Un petit exemple : il y a quelques années, le businessman brésilien Eike Batista était considéré comme l’un des hommes les plus riches du monde, alimentant l’orgueil national. Aujourd’hui il est en quasi-faillite : sa fortune n’a jamais été que potentielle, éventuelle, virtuelle. Son avenir n’est plus ce qu’il a été !

Brésil, pays du futur : jusqu’à quand ?

Éternellement couché dans un berceau splendide, au son de la mer et à la lumière du ciel profond

Franchement là, ça devient un hymne…à la paresse ! On imagine immédiatement deux cent vingt millions de Brésiliens dans leurs hamacs, accrochés entre deux palmiers, au clair de lune, dans la chaleur agréable d’une nuit d’été, au bord de la plage, avec un air de bossa-nova et le bruit des vagues en arrière-plan…Waouh ! Mais c’est le paradis tropical, ce Brésil !

Comment voulez-vous après expliquer aux citoyens de ce pays qu’il faut bosser, améliorer la productivité et équilibrer les comptes ?

Ta terre est la plus colorée, tes beaux champs joyeux ont plus de fleurs, nos forêts ont plus de vie

Il est bien normal que l’hymne exalte la beauté de la nature brésilienne. Personnellement je n’aurais pas employé ces mots, ni choisi ces images : il y en a plus et mieux à dire ! Mais peu importe. Je pense que cette beauté est encore largement sous-estimée et méconnue, surtout par les propres Brésiliens, qui préfèrent souvent voyager à l’étranger. J’avoue que cela m’étonne et me choque beaucoup. Je répète à qui veut bien l’entendre que la Chapada Diamantina dans l’État de Bahia est un petit bout de paradis terrestre !

Tu es la mère bienveillante des enfants de ce sol

Vraiment, le Brésil « une mère gentille, bienveillante » ? Bon peut être, acceptons (par gentillesse) pour la mère mais alors, le père ? Il est bien souvent autoritaire, violent, bandit ou corrompu ! Certes, la « mère nature » a été particulièrement sympathique et généreuse avec ce pays. Mais par contre, non, définitivement, le Brésil n’est pas une mère bienveillante pour ses enfants et il ne l’a jamais été. Comme les Etats-Unis, comme tous les pays d’immigration, c’est un pays cruel, dur, violent, où l’on ne se fait pas de cadeau, où règne la loi du plus fort. On doit gagner sa place à la force du poignet et le plus souvent en s’affranchissant des lois, des règles et des codes de bonne morale. Antonio Carlos Jobim, musicien mais aussi philosophe à ses heures, aurait dit : « Le Brésil n’est pas un pays pour les amateurs – ou pour les débutants (selon les sources !) ». Il n’a pas tort ! Il faut aller au-delà de la douceur tropicale, de la gentillesse individuelle et des rapports personnels qui sont le plus souvent amicaux, chaleureux, tout dans l’émotion. Les rapports sociaux eux sont d’un tout autre ordre. Non, vraiment, le Brésil n’a jamais été « une mère gentille » pour ses tribus indiennes, ses esclaves africains, ses gamins des rues, ses paysans nordestins, ses habitants des favelas, ses minorités sexuelles……Tous enfants de son sol.

Brésil, un rêve intense 

Là le journaliste poète a totalement et définitivement raison : le Brésil est un rêve intense ! Aujourd’hui, encore et toujours, c’est le rêve de deux cent vingt millions de Brésiliens. C’est bien l’énergie dégagée par ce rêve intense qui les fait tous avancer. C’est même le rêve de quelques gringos !

Bon, évidemment, ce n’est qu’un hymne national, bien en phase avec l’idéologie politique de son époque, celle de la République des « fazendeiros » (grands propriétaires terriens). Ce n’est pas un traité de sociologie, ni une dissertation philosophique, ni même un cours d’histoire. Mais c’est quand même un hymne censé être chanté par tous les écoliers brésiliens une fois par semaine ! Si les mots ont encore un poids, un sens, une valeur…….

Mon hymne brésilien à moi serait plutôt composé à partir de quelques-unes de merveilleuses chansons brésiliennes qui, à mon humble avis, reflètent bien mieux la réalité du pays et du peuple brésilien, sa diversité, ses aspirations, ses rêves, ses beautés, ses vraies valeurs…J’aurais l’embarras du choix !

Musique

Pour les amateurs de bonne musique, je signale une curiosité. Le compositeur et pianiste nord-américain, né à la Nouvelle Orléans, Louis Moreau Gottschalk (père juif écossais et mère créole haïtienne !) a composé une « Grande Fantaisie Triomphale sur l’Hymne National Brésilien » en 1869. Il a d’ailleurs connu son heure de gloire en Amérique latine. La redécouverte récente de cette œuvre lui a valu d’être largement reprise, utilisée et diffusée : presqu’un tube ! Les puristes de l’hymne ont mal accepté cette concurrence. Je vous propose ici son interprétation par le très grand pianiste brésilien Nelson Freire (1944-2021).

Écoutez ici

Cet article est la reprise de l’article « Hymne », paru le 19 novembre 2016, complété par ce lien musical.

Une réflexion sur « Hymne national »

  1. Un grand merci, encore, cher Christian, pour cette étonnante découverte, concernant l’hymne brésilien. Bien sûr impossible de ne pas penser avec nostalgie à votre inoubliable « girl from Ipanema ».

    En souhaitant aussi que tu puisses trouver une solution pour venir en France en septembre avec Flora. Pensées en musique et bien affectueusement. Dom

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