Radio Latina (1)

Mémoires de radio (épisode 2)

Rappel de l’épisode 1 : En janvier 1983, je démarre mon émission brésilienne sur Radio Latina, après un galop d’essai sur Radio Ivre

Indicatif

Au début il y a la musique, l’indicatif du programme : « Brasil, meu Brasil brasileiro, meu mulato inzoneiro, vou cantar-te nos meus versos… » puis j’ouvre le micro : « Bonjour, vous êtes bien sur le 101.8 et c’est l’heure de Macunaïma, l’émission brésilienne de Radio Latina ». Voilà, c’est parti…

J’ai fait dans le classique avec cette « Aquarela do Brasil », un standard internationalement connu, l’officieux hymne brésilien. Mais j’ai choisi une version bien spéciale de cette samba (ou plus exactement de cette « samba exaltação ») écrite en 1939 par Ary Barroso : celle qu’en a donnée le pape de la bossa nova, João Gilberto, secondé par les deux tropicalistes Caetano Veloso et Gilberto Gil, dans un disque sorti en 1981. Samba + bossa-nova+ tropicalisme : la musique brésilienne est bien représentée !

Ecoutez ici cette chanson, que j’ai donc déjà écoutée moi-même au moins 600 fois !

Nom de l’émission

Par contre pour le nom de l’émission, j’ai fait dans le culturel un peu élitiste, le sophistiqué et surtout l’original, voulant éviter les « noms bateaux » habituels pour les émissions de radio. J’ai choisi le nom de « Macunaïma » du roman du moderniste Mario de Andrade (1928), porté à l’écran en 1969 par Joaquim Pedro de Andrade et au théâtre en 1978 par Antunes Filho. Un texte fondateur, une sorte de Gargantua brésilien. J’avais été impressionné par le livre (remarquablement traduit en 1979 par Jacques Thiériot) mais surtout par la pièce représentée à Paris à l’époque, au Carré Silvia Montfort : un spectacle d’une créativité exceptionnelle.

Mais bon, le nom n’est pas évident en français avec le u/ou (Macunaïma/Macounaïma) et le tréma. Un peu compliqué pour être facilement mémorisé. Un peu osé donc et d’autant plus que je ne donnais pas mon nom à l’antenne, me dissimulant derrière le nom de l’émission.

Mais je ne regrette pas ce choix, original, différent, bem Brasil. Il indique bien aussi mon projet pour cette émission :  parler du Brésil, des Brésiliens, de la culture brésilienne.

L’affiche du film !

Musica

Il y a beaucoup de musique dans Macumaïma, toujours brésilienne mais de tous les genres et toujours de la très bonne ! Pour le plaisir et pour la découverte, car souvent inédite sur les ondes françaises. Mais pas que. Parce que la musique populaire est au cœur de la culture brésilienne et qu’à travers elle, on raconte aisément le Brésil et les Brésiliens. J’insiste beaucoup sur l’importance des textes, des paroles, que ce soit la prose de Chico Buarque, la poésie de Caetano Veloso, les sonnets de Vinicius de Moraes ou les satires des anciens sambistes. Ces textes nous disent des choses, nous racontent des histoires, nous font réfléchir ou rêver. Du coup, je traduis régulièrement les paroles, exercice pas toujours aisé !

Radio Latina

Durant ces cinq ans, je suis soumis aux aléas de cette période chahutée pour les radios libres (changements d’horaires, changements de fréquence…). L’histoire de Radio Latina mérite d’être contée.

La radio est fondée le 1er juin 1982 ; je l’intègre donc 6 mois plus tard, encore à son début. Son fondateur et propriétaire est Philippe Rossillon, alors Secrétaire Général de l’Union Latine. Un étonnant personnage.

Philippe Rossillon (1931-1997) est un haut fonctionnaire, diplomate, gaulliste assumé, impliqué toute sa vie dans les institutions françaises tournant autour de la francophonie et de la promotion de la langue française. Il est un ardent défenseur du mouvement indépendantiste québécois : on dit qu’il est à l’origine du fameux « Vive le Québec libre ! » proclamé par de Gaulle en 1967 ! C’est aussi un militant de la latinité au sein de l’Union Latine. Il est marié à une héritière Schlumberger et n’a donc pas vraiment de soucis d’argent ! C’est ce qui lui permet, entre autres, d’investir dans la radio avec de beaux moyens (grand studio, équipe de direction, équipe technique de qualité, animateurs rémunérés…). Il bâtit sa radio sur un projet culturel autour de ses deux grands engagements : la francophonie et la latinité.

 Son entregent politique lui permet de se battre pour obtenir et garder sa fréquence. Mais, début 1985, ça coince avec la Haute Autorité de l’Audiovisuel et la radio s’arrête 4 mois, avant de repartir à travers une curieuse association avec Radio Classique dans une improbable Classica Latina (sur le 101.8 FM) en fréquence partagée.

Mais, du coup, Rossillon revoit son engagement : il réduit drastiquement la voilure, quitte le grand studio de Clamart et licencie la grande majorité de l’équipe. Je fais partie des rares rescapés. On se retrouve dans un petit studio au sous-sol d’un hôtel particulier du boulevard Arago. Une autre ambiance. À la fin de 1987, partant pour l’Italie, je quitte la radio et c’est mon amie Dominique Dreyfus, grande spécialiste de musique brésilienne, bien plus professionnelle et académique que moi, qui reprend l’émission.

En 1992, Philippe Rossillon cède sa radio à une grande radio commerciale colombienne, Radio Caracol. Changement radical : finie la culture, on passe exclusivement à la musique latine très « dansante », dans laquelle le Brésil n’a plus guère sa place. Latina continue encore aujourd’hui, après plusieurs autres changements de directions.

Auditeurs

Je suis longtemps resté sans savoir si j’avais seulement un auditeur ! Je savais toutefois par des amis que de nombreux Brésiliens aimaient « tuer leur saudade » en écoutant mon programme. Les premiers sondages indiquaient aussi une audience significative pour Radio Latina parmi les radios libres. Rassurant.

Mon ami Joël a travaillé dans des maisons de disque au Brésil. À Paris il réédite des 33 tours de MPB pour le marché français. Il me propose d’en faire gagner à mes auditeurs. Excellente idée. Je l’enrichis : je demande à mes auditeurs de m’envoyer quelques lignes sur leur rencontre et leur relation avec le Brésil. Les meilleurs témoignages gagnent un disque. Je reçois plein de courrier d’auditeurs français.

De véritables lettres, bien rédigées, parfois même en portugais, et fort longues, me racontant par le détail leurs histoires d’amour avec le Brésil et les Brésilien(ne)s. Touchant. Je mesure ainsi le pouvoir magique de la radio : comment quelqu’un peut ainsi se confier si librement – et même intimement – à une personne dont il ne connait finalement que la voix ?

Radialiste

Je tiens à faire une émission de qualité, agréable à écouter, à la fois instructive et distrayante. Faute d’un coach à ma disposition, je dois chercher mes références auprès de mes modèles radiophoniques : Michel Lancelot, Claude Villers, Jacques Chancel et surtout Pierre Bouteiller. Les premiers mois, je m’oblige à réécouter mes émissions dument enregistrées pour les évaluer, les critiquer et me corriger.

Je découvre peu à peu les ingrédients indispensables pour être un bon « radialiste » (comme on dit ici) : la voix, le ton et le rythme.

La voix nous est donnée par la nature : on ne peut guère la changer, tout au plus s’efforcer de toujours bien articuler (comme les « filles de FIP », à l’époque mais plus aujourd’hui). Mes amis me disent rapidement que j’ai « une voix radiophonique ». Tant mieux. Je préfère les croire.

Le ton est l’ingrédient le plus personnel, le plus spécifique car c’est le reflet de notre personnalité. J’aimais particulièrement celui de Pierre Bouteiller : un peu charmeur, toujours de l’humour, complice et empathique mais sans familiarité, informatif sans arrogance, ni pédanterie, un peu distancé…. Quand mes amis m’ont dit : « Ton émission, c’est tout à fait toi ! », j’ai compris que j’avais trouvé mon ton !

Le rythme est plus technique, plus objectif mais il est essentiel pour garder l’attention des auditeurs dans la durée et mes émissions sont longues (1 heure ½ à 2 heures !). Il y a des trucs : ne pas trop parler (2 à 3 minutes maxi), une programmation musicale bien peaufinée, des ruptures régulières pour relancer, des interviews dynamiques…Ça se travaille.

Voilà ces deux ou trois choses que j’ai appris de cette expérience de « radialiste ». Inutile de dire que ce fut une remarquable école de communication qui m’a beaucoup servi par la suite dans ma vie professionnelle.

Pierre Bouteiller, mon maître radialiste !

(la suite dans le prochain article)

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