Art naïf

Lucien Finkelstein

À la sortie de la guerre, en 1946, le jeune Lucien Finkelstein (15 ans) se rend au Brésil pour visiter des parents. Il décide d’y rester et d’y faire sa vie. Durant plusieurs décennies, il exerce avec succès la profession de bijoutier-joaillier à Rio. Mais très vite une passion l’envahit : la peinture naïve brésilienne.

Il en devient un frénétique collectionneur, un grand connaisseur aussi. Sa collection d’art naïf comprendrait plus de 6 000 œuvres venant du monde entier. Mais son rêve est faire partager sa passion et, pour cela, ouvrir un musée à Rio.

Livre de Lucien Finkelstein sur l’art naïf brésilien

Il le réalise en 1995 en inaugurant le MIAN (Museu Internacional de Arte Naïf do Brasil) dans un magnifique casarão portugais situé dans le quartier historique de Cosme Velho, tout juste à côté de la gare du petit train du Corcovado. Mais ce musée va connaitre une vie difficile et chahutée. Les aides publiques du secteur de la Culture sont trop limitées, ponctuelles, irrégulières. Il ferme au grand public en 2007.

Il va réouvrir sous la houlette de Jacqueline Finkelstein qui reprend le flambeau de son père décédé en 2008. Elle va enfin obtenir une importante subvention pour rénover le musée. Il redémarre en 2012…. mais pour 4 ans seulement. La crise économique qui ravage le Brésil dès 2015 fait définitivement disparaitre les aides publiques et le musée ne peut compter sur le relais du secteur privé malheureusement peu motivé.

C’est la fin de l’aventure du MIAN. Toute la collection est rapatriée dans un appartement de Copacabana, le bâtiment est vendu en 2022. Mais Jacqueline cherche à faire vivre cette immense collection : elle fait des dons à d’autres musées brésiliens, elle organise des expositions dans tout le pays. Elle cherche surtout à vendre le meilleur de la collection (3 000 œuvres) mais, si possible, à un seul acheteur, de préférence brésilien et pour ouvrir un nouveau musée ! Équation visiblement compliquée à résoudre.

Le MIAN peint par l’artiste Lia Mittarakis

Visites du MIAN

J’ai évidemment visité plusieurs fois le MIAN. Je dois dire que, dans sa première phase, c’était une expérience surprenante : une invraisemblable accumulation de tableaux dans tous les styles du naïf, partout, sur tous les murs, dans tous les escaliers, pas un cm2 libre ! Un grand capharnaüm pictural dans un bâtiment vieillot, quelque peu précaire. Il fallait vraiment faire un effort au milieu de tout ça pour profiter des meilleures œuvres. C’était touchant d’amateurisme.

Rien à voir avec ce que je retrouve plus tard : un bâtiment refait à neuf, agréable, répondant à toutes les normes. Peu d’œuvres exposées mais remarquablement mises en valeur. La muséologie moderne était passée par là. Je me propose d’y emmener mes amis français lors de prochaines visites : trop tard, il est déjà fermé !

L’hommage de cette même artiste Lia Mattarakis à la ville de Rio

Jacques Ardies

Entretemps mon chemin avait recroisé celui de l’art naïf brésilien. À Curitiba, un collègue français, venant souvent en mission au Brésil, me confesse que, lors de ses passages, il ne manque jamais de visiter la galerie Jacques Ardies à São Paulo, spécialisée dans l’art naïf. Il en est même devenu un excellent client afin, me dit-il, « d’illuminer son appartement parisien ».

Jacques Ardies, d’origine belge, est venu en expatriation au Brésil pour le compte d’une banque en 1977. Deux ans après, il ouvre sa propre galerie d’art naïf dans une grande et charmante maison d’un quartier bien agréable de São Paulo (Vila Mariana). Il est rapidement devenu la référence dans ce petit milieu artistique, par ses livres et ses expositions. Le choix d’une galerie fut sans doute plus judicieux que celui d’un musée. Faute d’y aller facilement, vous pouvez visiter son site (cliquez ici).

La galerie Jacques Ardies à São Paulo

Ma collection d’art naïf

Il se trouve que j’ai deux œuvres qui viennent de chez lui dans mon bureau carioca d’où je vous écris. Elles m’accompagnent depuis plus de dix ans, je m’y suis attaché, je les aime. Les voici :

Tableau de Rodolpho Tamanini
Tableau de Edna de Araraquara

Pour autant, je ne suis ni connaisseur, ni spécialiste de cet art naïf. Je pense simplement qu’il représente vraiment bien une certaine vérité, une certaine authenticité de ce pays. Avec créativité et originalité. Comme l’art populaire du musée du Pontal dont je vous ai déjà parlé, une autre belle histoire franco-brésilienne.

Artistes

Ces dernières années, de grands musées cariocas, nous ont proposé des expositions de deux artistes importants classés comme « art naïf ».  Ils méritent que je parle d’eux !

Heitor dos Prazeres

Heitor dos Prazeres

Heitor dos Prazeres (1898-1966) eut une vie bien remplie à la fois de sambiste et d’artiste peintre. C’est un véritable touche à tout : musicien, compositeur, chanteur, danseur, costumier, homme de radio et de Carnaval ! Transitant dans tous les milieux. C’est un très grand de la samba, que Vinicius n’a pas oublié de saluer dans sa « samba da bençao » ! C’est aussi un peintre original, créatif, avec un style propre. Il peint surtout la vie de la favela et bien entendu des scènes de musique et de danse.

Djanira

Djanira (1914-1979) vient de l’intérieur de São Paulo et d’un milieu populaire. Elle s’installe à Rio mais va mettre beaucoup de temps à être enfin reconnue. Son style, fortement coloré et dans la ligne de l’art naïf, et surtout ses thèmes – vie quotidienne du peuple, fêtes populaires, religiosité, monde du travail…- l’ont longtemps marginalisée, classée à part. Ce n’est heureusement plus le cas aujourd’hui.

Marché à Bahia, œuvre de Djanira

Elle s’est retrouvée récemment au centre d’une polémique bien brésilienne. L’un ses tableaux, « Orixas » de 1966, représentant trois orixas féminins, a été installé en 2010 dans l’un des grands salons du Planalto (le Palais Présidentiel de Brasilia). Ce qui a fort déplu à la très évangélique Michelle Bolsonaro qui, à son arrivée, a ordonné qu’on le remise dans la réserve et qu’il soit remplacé par la copie d’une autre œuvre de Djanira, moins connotée ! À peine Lula réinstallé au Planalto, sa femme Janja demande qu’on le remette en place. Mais le tableau a été mal conservé et même détérioré : il nécessite une restauration. Du coup, il n’est pas en place le 8 janvier 2023, quand la horde de voyous bolsonaristes envahit le Planalto et le saccage, en commençant par les nombreuses et remarquables œuvres d’art présentes. Ils n’auraient certainement pas épargné ce tableau ! On le réinstallera, bien à sa place, un peu plus tard. Le hasard a bien fait les choses ou alors c’est la protection des orixas : va savoir !

Le tableau Orixas de Djanira dans le Palais présidentiel

Expo en France

C’est mon amie Baj qui me le signale : il y a une exposition d’art naïf brésilien au Musée de Lodève (département de l’Hérault), sous le titre « Brésil, identités ». C’est suffisamment rare pour être signalé dans ce blog. Ce serait la collection particulière d’un collectionneur (français ?) anonyme. Il faut donc en profiter. Si vous passez dans le coin d’ici le 21 avril, vous ferez certainement une découverte que je vous souhaite stimulante.

Réflexion

Évidemment, le paradoxe ne vous aura pas échappé. Cet art éminemment populaire et brésilien – car fait par des gens du peuple, le plus souvent autodidactes, sur des thèmes de leur culture et de leur vie quotidienne – est apprécié, valorisé, reconnu, encouragé, promu, vendu en majeure partie par des gringos. Plusieurs artistes brésiliens d’art naïf n’ont rencontré le succès qu’en dehors du Brésil et c’est là qu’ils ont pu développer une vraie carrière . Jacqueline Finkelstein constatait que la moitié des visiteurs du MIAN étaient des étrangers, l’autre étant constituée par les incontournables groupes scolaires. Jacques Ardies se réjouissait récemment d’une forte demande pour ses tableaux …. qui venait surtout de l’étranger : il venait de conclure une belle vente à la Tate Gallery de Londres. S’il y a de plus en plus de professionnels brésiliens de la culture conscients de l’importance de promouvoir ces arts populaires, ils ont encore bien du mal à leur trouver un vaste public brésilien amateur. Problématique. Dommage.

Une des œuvres de l’exposition de Lodève (non référencée)

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